Regard sur le passé
informations provenant
du mémoire D.S.T.S. 1999 de Michel SALLERIN
Bien avant la prise
en charge par la
Sécurité Sociale
dans le financement et l’administration d’une catégorie de population
enfantine, marginale, inadaptée à la Société et
laissée pour compte qui a été une chance pour le
médico-social, a été créée dès Septembre 1929, l’Ecole Privée de Plein
Air de
Beauvallon spécialisée en référence aux pédagogies nouvelles. Et c’est
en 1946
comme le confirme l’annonce au Journal Officiel que l’Institut a pris
la forme
d’une Association Loi 1901.
LE
DEPART
L’Ecole de
Beauvallon
a été créée
sous l’impulsion de trois personnes : Marguerite SOUBEYRAN,
Catherine
KRAFFT et Simone MONNIER. Ces femmes hors du commun vont construire de
toutes
pièces une maison à leur convenance sur un terrain vierge, et mettre en
place
tout un système éducatif, pédagogique et de soins défini selon les
pédagogies
nouvelles dès 1929.
Marguerite
SOUBEYRAN
est originaire de Dieulefit et appartient à une famille qui vit dans
cette région depuis plusieurs générations. Son père est ouvrier
qualifié et a six enfants : cinq fils et une dernière fille dont
il est très fier et, à qui il est très attaché. Il lui permet de
poursuivre des études primaires, supérieures et une formation
d’infirmière à Paris qu’elle termine en obtenant son diplôme. En 1916,
alors qu’elle commence des études sur la médecine sociale, elle est
obligée d’arrêter pour des problèmes de santé. Elle revient s’installer
à Dieulefit et décide de venir en aide à des adultes malades qui
auraient besoin de repos. Pour ce faire, ses parents lui font don d’une
petite ferme à trois kilomètres de Dieulefit, et elle commence des
travaux pour la transformer en maison de santé qui va s’appeler la Pension de
Beauvallon. Petit à petit, cette habitation prend corps, et les
premiers pensionnaires arrivent. C’est ainsi que durant dix années de
1917 à 1927, Marguerite SOUBEYRAN va construire et agrandir ce bâtiment
pour accueillir de plus en plus de convalescents. Parmi eux, de temps
en temps, des enfants y séjournent. Ainsi, l’idée de ne s’occuper que
d’enfants, et de créer une maison uniquement pour eux fait son chemin.
Mais pour cela, elle a conscience qu’il lui faut d’autres compétences.
Elle entend
parler
de l’Institut Jean-Jacques ROUSSEAU à Genève qui forme à l’enseignement
des pédagogies nouvelles. Elle y suit son enseignement et y découvre
trois éléments essentiels qu’elle va appliquer à Beauvallon par la
suite. Le premier est l’accueil ; celui qu’elle y trouve la marque
à jamais, et elle en fait une devise importante. Le second est la
convivialité, autour d’une tasse de thé ou de café, où les échanges
sont simples mais primordiaux et riches d’enseignement. Tout le monde
est au même niveau : Messieurs CAPAREDE, BOVET et FERRIERE et,
n’importe quel étudiant de l’Institut. Elle va institutionnaliser cette
manière d’être à Beauvallon. Le troisième est la découverte de la joie
du bain dans le lac Léman. Elle va construire une piscine en même temps
que la maison principale de Beauvallon dès 1931. Elle apprend beaucoup
au contact de cet Institut : « L ‘éducation ne se réduit
pas à telle ou telle méthode. L’enfant ayant toutes les possibilités
nécessaires à son environnement. Eduquer, c’est créer un climat d’amour
et de compréhension où l’enfant puisse se développer à son rythme
propre ». C’est à Genève qu’elle fait la connaissance de Catherine
KRAFFT qui est directrice d’un foyer d’étudiants où Marguerite
SOUBEYRAN habite pendant son séjour genevois. Tout de suite, ces deux
femmes s’entendent bien et se complètent sur le plan du caractère.
L’une est débordante d’énergie et l’autre est la raison et l’ordre.
Marguerite SOUBEYRAN va lui parler de ses projets et la convaincre de
la suivre à DIEULEFIT. Elle y vient, et toutes les deux commencent en
juillet 1929 à accueillir six enfants à la Pension où un
pavillon à part leur est attribué. Elles trouvent un terrain pour
construire une maison, elles y ouvrent une route, en font les plans et
prévoient une exposition plein sud. En juillet 1931, elles s’y
installent et créent une école nouvelle d’après les principes de
l’Institut Jean-Jacques ROUSSEAU à Genève. En octobre 1936, Simone
MONNIER vient les rejoindre. Elle vient aussi de cet Institut, a
surtout travaillé avec Jean PIAGET et a les mêmes idées que ces deux
femmes sur l’éducation. Elle développe tout l’aspect artistique qui
manquait jusqu’alors. Ces trois personnes y consacrent leur vie, et y
font carrière. Beauvallon s’est inspiré directement du concept d’école
nouvelle. Ce dernier est lui-même en lien avec le mouvement protestant
européen très présent à Dieulefit, pays d’origine de Marguerite
SOUBEYRAN.
L’Ecole de
Beauvallon, dès son
ouverture, était non confessionnelle donc laïque, mixte, rurale, dont
la
particularité était de mélanger des enfants difficiles à des enfants
dits
« normaux ». « L’Ecole nouvelle est un internat familial
situé à
la campagne où l’expérience personnelle de l’enfant est la base de
l’éducation
intellectuelle avec recours aux travaux manuels (école du travail) et
de
l’éducation morale par la pratique de l’autonomie des écoliers
(self-governement) ». Les fondatrices ont impulsé dès la création
ces
idées à la vie de leur école. Elles habitent sur place et ont construit
le
projet sans argent mais avec beaucoup d’énergie et de foi. Pourtant
elles ont
apporté deux éléments supplémentaires à cette pédagogie déjà fortement
révolutionnaire à l’époque. Le premier est l’instauration des
assemblées
hebdomadaires comme self-governement dès 1931. Le second est
l’instauration des
réunions du matin dès 1938.
« Une
grande
partie des
élèves sont des enfants normaux, parfaitement bien portants, mais que
leurs
parents ont préféré faire élever au grand air, avec un hygiène
parfaite, plutôt
que de les soumettre à l’atmosphère des lycées. Y trouvent place
également, et
c’est ceux-là qui nous intéressent aujourd’hui, des enfants délicats.
Ce sont
des ganglionnaires, des pleuraux et, plus particulièrement, de ces
enfants qui,
sans qu’un examen clinique ou radiologique puisse déceler un foyer
d’infection
bacillaire, présentent de ces états subfébriles interminables et qui
sont en
général si décevants à soigner. On y admet également les enfants
« réputés
difficiles ». Si j’emploie le mot « réputés », c’est que
j’évoque
la théorie désabusée des deux directrices : « Il n’y a pas
d’enfants
difficiles, il n’y a que des enfants gâtés ou que l’on n’a pas su
élever ».
LES ANNEES DE GUERRE
« Beauvallon
est
devenu un
haut lieu de la
Résistance
dans la
Drôme. Certains intellectuels parisiens gagnèrent alors ce lieu pour fuir le nazisme, et
reconquérir une liberté bafouée ».
Nous laissons
à
Pierre Vallier le
soin de nous parler de Marguerite SOUBEYRAN.
« Pendant
l’occupation,
l’Ecole de Beauvallon à Dieulefit était devenue par la volonté de Melle
Marguerite SOUBEYRAN la résidence secrète de nombreux intellectuels en
exil qui
restèrent des années ou seulement quelques jours à DIEULEFIT. Ainsi se
retrouvèrent ou se croisèrent sous le toit de « Tante
Marguerite »
les poètes Pierre Emmanuel, Pierre-Jean Jouve, Aragon, Elsa Triolet,
Pierre
Rousseaux, Marcelle Auclair, Andrée Viollis, le philosophe Emmanuel
Mounier, la
pianiste Yvonne Lefébure, l’avocat Nordmann, les peintres Picabia,
Wolls et
Willy Eisenchitz, le graphologue allemand Bernson, le compositeur Fred
Barlow,
le professeur d’histoire Springer de l’Université de Heidelberg, les
écrivains
Clara Malraux, Georges Sadoul, Henri-Pierre Roché (« Jules et
Jim »,
« Les deux Anglaises et le continent »), le cinéaste Jean
Vidal,
l’anti-nazi Jean Bauer, l’ingénieur du son Jean-Claude Rocher, le
diplomate
suisse Lachenal, le graveur Pierre Guastalla, et j’en oublie sûrement
quelques-uns.
A tous ces
intellectuels
s’étaient joints des professeurs de La Roseraie et des
habitants, particulièrement des
protestants. Ainsi Emmanuel Mounier fonda l’université de Beauvallon,
clandestine évidemment, où les célébrités en exil donnaient des cours,
des
conférences et concerts. Melle SOUBEYRAN était en quelque sorte la
secrétaire
perpétuelle de cette étonnante académie française de la Résistance ;
et
elle le restera à perpétuité ».
« C’était
vraiment une
époque à la fois dramatique et merveilleuse et de toute façon
unique »
nous avait confié Melle SOUBEYRAN il y a quelques années en nous
racontant ses
souvenirs ».
« Oui, et
elle
fut la femme
qui convenait à cette époque. »
Le nom même de
l’association : « Les Amis de Beauvallon », vient à la
suite de
cette période de solidarité. Sandrine Suchon nous en parle dans son
livre
« Résistance et liberté : Dieulefit 1940-1944 » (édition
A Die –
1994) :
« Beauvallon
est
un quartier
de Dieulefit, un peu en dehors de la ville (…). Somme toute, c’est le
lieu
idéal pour s’occuper d’enfants « caractériels » (…).
Pendant la
guerre,
l’école
devient donc un refuge inestimable pour les proscrits. Déjà, en
1939-1940,
l’accueil vis-à-vis des Allemands fuyant le nazisme s’avère sans
concession
(…). Pendant toute la guerre, l’école héberge donc, en plus des enfants
qui se
seraient trouvé là en temps normal, de nombreux enfants juifs
pourchassés. En
fait, le gonflement des effectifs équivaut au double de la capacité
normale
puisque l’école doit désormais s’organiser de façon à accueillir une
centaine
de personnes de plus (…).
Tant bien que
mal, on
s’efforce
de vivre normalement à Beauvallon, en veillant bien à ce que les
enfants ne
souffrent pas trop de la guerre. On s’efforce, pour les persécutés, de
les
faire simplement exister comme des êtres humains, évidence qui leur est
alors
niée. L’enseignement se poursuit normalement, au milieu des évènements
à propos
desquels les enfants sont tenus au courant, avec le tact nécessaire
pour ne pas
trop les angoisser et faire en sorte que leur jeunesse en soit vraiment
une.
Mais, en ces temps difficiles, on fait aussi appel à la responsabilité
du
chacun, leur apprenant que les enfants juifs vivent là aussi et qu’il
ne faut
le divulguer à personne. Le danger extérieur crée de toute façon une
solidarité
sans faille, et il est certain que tout le monde se dévouerait s’il
arrivait malheur
à quelqu’un ».
« Andrée
Viollis, écrivain,
décrit la chronologie des évènements et surtout les positionnements de
chaque
personne importante pendant cette période à DIEULEFIT.
C’est ainsi qu’elle nous explique entre autre comment Melle SOUBEYRAN
va sauver
des enfants juifs à LYON au nez de la gestapo ; comment une
solidarité
liée au protestantisme entre les habitants de DIEULEFIT a empêché des
dénonciations qui auraient pu avoir des conséquences graves sur toute
la
population ; comment Emmanuel Mounier fonde l’université de
Beauvallon à
l’automne 1943 en abordant des thèmes aussi différents que la
psychanalyse, la
poésie ou les mathématiques.
Cette
expérience de
résistance et
de poursuite de l’école pendant ces heures troublées va contribuer à
développer
par la suite une générosité et une ténacité dans la prise en charge des
enfants. Ce savoir-faire collectif et ce cadre de travail vont être
très riches
et efficaces et se retrouveront dans la forme contemporaine
d’après-guerre de
Beauvallon ».
LES
ANNEES DE L'APRES-GUERRE
A partir de
1948,
Beauvallon
connaît quatre temps importants qui marquent le dispositif du Placement
Familial Spécialisé tant au niveau des pratiques médico-sociales que
dans la
structure même de ses objectifs pédagogiques.
Première
période :
« Les années de création » - 1948-1955
Devant le
nombre
important
d’enfants venant de la région parisienne de l’O.P.H.S., Beauvallon opte
pour
créer un Placement Familial Spécialisé dès 1949. Cela coïncide à son
éthique du
moment et au contexte socio-politique d’après-guerre qui cherche à
faire des
économies vis-à-vis des établissements de l’enfance inadaptée. Tout de
suite,
il est agréé par le département de la Seine mais pas par celui de la Drôme qui ne
consent à
donner son accord qu’en 1951. Finalement, ce service va être rattaché à
la
ville de DIEULEFIT. Il s’appelle Placement Familial Dieulefitois
jusqu’en
Janvier 1955, date à laquelle il va être confié uniquement à
l’Association
« Les Amis de Beauvallon ». Durant cette période, il sert
d’expérience pour le devenir de cette forme de prise en charge. Nous
verrons
dans cette suite chronologique comment ces pratiques médico-sociales
ont évolué
au cours du temps.
Deuxième
période : « Les
années de
consolidations » - 1955-1972
La conception
de
l’institution
s’appuie sur plusieurs idées qui ont fondé le travail
médico-pédagogique :
-
se battre, résister,
-
l’engagement citoyen,
-
l’accueil familial comme valorisation de la
prise en
charge.
Le cadre
institutionnel
concernant le placement en accueil familial s’est développé, construit
et pensé
d’une manière empirique pendant cette période. Beauvallon a été un
modèle pour
les politiques sociales publiques nationales car, tout d’abord le
terrain
d’expérience du Placement Familial Dieulefitois entre 1948 et 1955, et
ensuite
celui du Placement Familial Spécialisé de Beauvallon, contribuent à
légitimer
cette forme de prise en charge en accueil familial spécialisé. La
richesse
qu’il a représentée à ce moment-là, de par sa réflexion, a corroboré sa
participation à l’élaboration des textes de lois dans les années 1950.
Il est
donc adapté à la demande médico-sociale pendant cette période. Il a pu
ainsi
résister à l’épreuve du temps de 1948 à 1972.
Troisième
période : « Les
années de
politiques sociales » - 1973-1989
Cette période
de
changement est
marquée en premier par le départ des fondatrices (rappelons le décès de
Marguerite SOUBEYRAN « Mamie » en 1980, le décès de Catherine
KRAFFT
« Atie » en 1982, et le départ à la retraite de Simone
MONNIER en
1981) et par la mise en place d’une série de lois venant modifier le
cadre
législatif du travail. Les méthodes qui avaient fondé Beauvallon au
départ
restent inchangées, son cadre institutionnel continue à fonctionner de
la même
manière qu’auparavant ; toutefois, c’est la fin d’une période qui
s’annonce.
Entre 1975 et
1989,
Beauvallon
est confronté à une multitude de lois qui l’a obligée, dans ce
contexte, à
trouver une nouvelle dynamique. Pour son Placement Familial, cette
adaptation
lui a valu d’être plus à même de proposer une nouvelle organisation qui
lui a
permis de remonter ses effectifs après 1981. Toutefois, on observe un
changement dans la prise en charge : on passe d’un soin où la
médecine
sociale était la référence, à un autre beaucoup plus médicalisé.
Cependant, le
travail de fond reste le même qu’à la création de ce service avec des
variantes, ce qui pose problème par rapport à la conformité du projet
pédagogique. Cette forte mutation va l’amener à une défense de son
Placement
Familial.
C’est la fin
d’une
époque
glorieuse qui annonce un tournant capital pour l’institution. La
provenance des
enfants ne se fait plus par le biais de l’O.P.H.S.
La Commission
Départementale
de l’Education Spéciale change les habitudes de travail. Les politiques
sociales (Loi d’Orientation de 1975 et Annexes XXIV de 1989) renforcent
cette
mutation interne à l’établissement, ce qui amène des changements
importants.
Quatrième
période : « Les
années de
crise » - 1990-1995
Beauvallon se
trouve
dans un
paradoxe avec les nouveaux textes de lois et annexes XXIV. Plusieurs
thèmes
apparaissent : « les enfants malades, les projets
individualisés
avec l’accord des parents, l’administratif de plus en plus important,
le sens
de la prise en charge des « enfants caractériels » qui sont
considérés comme des « cas sociaux ».
Dans les
années 1990,
l’organisation des Départements a posé problème à Beauvallon. Ils ne
sont plus
uniquement simple gardien administratif des enfants qui leur sont
confiés, mais
ont organisé un dispositif plus spécifique d’aide dont le Conseil
Général est
le moteur : « l’évolution du placement familial avec la
spécialisation devenant de plus en plus fine et avec la mise en place
du statut
des départements qui sont devenus responsables de l’Aide
Sociale ». Cette
nouvelle organisation du Conseil Général a forcément eu des
conséquences sur
l’orientation des établissements type Beauvallon, d’autant plus que
s’organise
la prise en charge autour d’un Placement Familial Départemental. La
manière de
fonctionner de Beauvallon n’est pas en cause : « La
sectorisation, ça
nous a posé beaucoup de problèmes pour le placement familial, et les
problèmes
d’effectifs au placement familial viennent plutôt de là que de la
qualité du
travail ». Beauvallon a une manière de travailler toujours aussi
performante même si le dispositif légal a été modifié.
Dans ce
secteur
médico-social, on
ne peut pas ne privilégier que l’aspect médical. Le travail rééducatif
passe
forcément par le pôle social : « Il n’y a pas de rééducation
sans
social et c’est une grave erreur de vouloir maintenant dire prise en
charge
médicale et pas autre chose ». Toutefois un service de Centre
d’Accueil
Familial Spécialisé doit être sous l’autorité d’un Institut de
Rééducation pour
éviter qu’il devienne trop administratif.
Mais les
principaux
ennuis
viennent des politiques sociales de l’Etat qui se sont mises en place
théoriquement mais qui n’ont atteint le terrain que dix années après.
C’est pendant
cette
période que
le service de Placement Familial va s’appeler Centre d’Accueil Familial
Spécialisé. C’est aussi dans ce contexte de restriction économique que
son
effectif va s’effondrer officiellement au plus bas de toute son
existence.
VERS UNE ACTION MEDICO-SOCIALE EN MUTATION
Le
Service
d’Education Spéciale et de Soins à Domicile (SESSAD)
Beauvallon a
pu
vraiment garder
son esprit d’indépendance et de liberté jusqu’aux années 1980 car la
conjoncture économique de la pleine croissance l’a servie
favorablement.
Toutefois, après cette période, le paysage sanitaire spécialisé, social
et
médico-social français s’est radicalement transformé. La prise en
charge des
inadaptés ou handicapés de toutes sortes s’est diversifiée dans tous
les
secteurs d’activité. Elle est devenue plus qualitative. Tout ceci est
le
résultat d’une volonté politique due à une mutation importante de la
société.
Pendant les
« trente
glorieuses » des années 1950 aux années 1970, Beauvallon a eu une
place
privilégiée dans l’appareil médico-social avec son Placement Familial
Spécialisé qui était reconnu et innovant au plan national. Pendant les
années
1980, il a été disqualifié par la conjoncture socio-politique mais il a
continué à s’appuyer sur son savoir-faire et sa réussite du départ
vis-à-vis
d’une tradition culturelle d’accueil typiquement sud drômoise liée à
une zone
fortement rurale. Dans les années 1990, il a été mis à l’épreuve et
desservi
suite à la mise en conformité avec les nouvelles annexes XXIV de 1989
et au
contexte départemental particulier de la création d’un placement
familial par le
Conseil Général de la
Drôme.
Le déclin du
Centre
d’Accueil
Familial Spécialisé vient aussi d’un changement de cap dans la manière
de
soigner les enfants. Entre la jeune action médico-sociale
d’après-guerre et
celle d’aujourd’hui, l’éducation spéciale est devenue plus qualitative.
L’action médico-sociale est axée sur la mise en place obligatoire de
projet
personnalisé pour chaque enfant où les aspects thérapeutique, éducatif
et
pédagogique doivent apparaître clairement.
Avec le grand
virage
des annexes XXIV
de 1989, Beauvallon a eu l’idée de proposer la création d’un SESSAD
pour
pallier l’accueil familial spécialisé en déclin. Ce nouveau service a
ouvert en
Septembre 1995.
Toutefois, en
réalité, les SESSAD
existent depuis une trentaine d’années, depuis la circulaire de
Septembre 1971
sur les soins et l’éducation à domicile, qui ne faisait allusion qu’à
l’équipe,
pas encore au service. Ce n’est que dans l’inscription actuelle de la
loi de
Novembre 1989 qu’ils sont devenus dans leur forme institutionnalisée
des
services à part entière. Là réside toute la différence entre une
structure qui
dispose d’une équipe qui peut se rendre à domicile et un service dont
la
mission annoncée est de travailler à domicile. C’est un glissement
important
dans la nature même du travail car d’un côté un établissement organise
une
fraction de son activité au domicile, et de l’autre un service
identifié
structure son activité autour du travail à domicile.
Les
caractéristiques
essentielles
d’un tel service, au regard des textes de 1989, peuvent être au nombre
de
quatre :
- La
mission :
prise en charge précoce,
- Les lieux
d’interventions : lieux de vie et d’activité de l’enfant,
- Les
collaborations
possibles avec les autres partenaires du secteur médical et
médico-social : psychiatrie infanto-juvénile, services
hospitaliers, protection maternelle et infantile, CAMSP, CMPP, etc...
- Les moyens
administratifs pour la fourniture de certaines prestations : ce
qui entraîne que les conventions de prestations de services doivent
être étendues à des collaborateurs proches du domicile des parents.
Conclusion
La grande
mutation du
secteur
médico-social s’est amorcée à la fin des années 1980 avec la réforme
des
annexes XXIV qui a privilégié dans sa mise en application la notion de
projet
individualisé et personnalisé pour chaque enfant sur le plan éducatif,
pédagogique et thérapeutique. Par ailleurs, la loi fait obligation
d’impliquer,
d’associer et d’informer régulièrement les parents des projets que les
établissements ou services font pour leurs enfants. Ces nouvelles
notions
légales ont transformé la prise en charge médico-sociale de ces
enfants. Elles
sont apparues dans un contexte de mutation de la société entre 1945 et
nos
jours. Le choix politique d’éviter au maximum de placer les enfants
hors du
domicile des parents a fait se développer les SESSAD dans ce secteur.
Il faut
noter aussi que la réorganisation des secteurs psychiatrique et social
a
déstabilisé celui du médico-social à partir des lois de
décentralisation.
Certaines actions qui étaient réservées jusqu’alors au secteur
médico-social se
sont déplacées vers ces deux branches d’activité. Il a fallu trouver un
nouvel
équilibre entre ces différents champs du travail social. C’est ainsi
que
Beauvallon a réorganisé son travail. Il a créé en 1995 son SESSAD et a
transformé son Placement Familial en Centre d’Accueil Familial
Spécialisé. Il a
donc conçu autrement son travail en accueil familial.
A l’approche
du
troisième
millénaire, la réforme des lois de 1975 laisse entrevoir encore un
profond changement
dans ce secteur. Comment fonctionnera la prise en charge des enfants
présentant
des troubles graves du comportement dans le médico-social ? Y
aura-t-il
une fois de plus une mutation profonde ou bien une disparition de ce
secteur ? Plusieurs scénarios peuvent alors s’envisager sous forme
de
questions :
-
Les établissements médico-sociaux ne
pourraient-ils pas
basculer dans le secteur sanitaire et relever à ce moment-là de
l’Agence
Régionale Hospitalière, ce qui voudrait dire que l’indication de soin
dans les
établissements serait alors purement médicale ?
-
Ne pourraient-ils pas disparaître
complètement, ne
trouvant plus leur place entre le secteur médical spécialisé de la
psychiatrie
infantile et celui du social des Conseils Généraux ?
-
Ou bien, ce qui paraît le plus
vraisemblable, ne
vont-ils pas renaître plus solide de ces changements mais subir encore
de
nombreuses mutations ?